Paulette et sa marraine

[Cahier rouge] Samedi 11 janvier, Hué

Après le souper, Jean-Marie a voulu marcher dans la ville. Marie est rentrée se coucher, mais Geneviève et moi l’avons accompagné.

En fait, il voulait aller repérer l’ancienne école et collège français de Hué, sur l’avenue Le Loi, rive droite du fleuve des Parfums, sensiblement en face de la citadelle impériale.

Paulette, la maman de Jean-Marie, y était écolière. Sa mère, jeune domestique d’un cadre du port de Hué, s’était retrouvée enceinte de son patron. Ainsi était née la petite Paulette. Sa mère était alors allée se placer à Saigon et avait confié la gamine à la grand-mère, qui était vendeuse de rue, une latte de bananier sur l’épaule et deux corbeilles aux  extrémités, et qui habitait un bidonville sur la bordure ouest de la ville. La grand-mère avait inscrit Paulette à l’école française. Ainsi chaque matin la petite fille descendait à pied du bidonville jusqu’au fleuve, le traversait par le pont du chemin de fer, continuait en suivant la rive droite jusqu’à l’école — sept kilomètres. Et chaque soir le trajet inverse.

Un soir, raconte Jean-Marie, la directrice de l’école a raccompagné Paulette chez elle, à pied, pour savoir vraiment. Elle a fait avec elle les sept kilomètres. Elle est entrée dans la maison du bidonville, elle a rencontré la grand-mère, elle lui a dit que désormais Paulette resterait le soir à l’école, y dormirait, que c'était trop long pour une enfant ce trajet quotidien. Un an plus tard, la grand-mère est morte. C’est la directrice et son mari qui se sont alors occupés de la petite fille, l’ont emmenée avec eux lors des vacances. Ainsi Paulette a pu mener sa scolarité à bien. « Autrement elle aurait fini repiqueuse de riz dans les rizières », commente Jean-Marie. La directrice est ainsi devenue la « marraine » de Paulette avec qui elle est restée liée jusqu’à sa mort.

Jean-Marie a bien connu la « marraine », elle était présente à son mariage avec Geneviève. Mais le récit de l’enfance de Paulette dépend de ce dont celle-ci veut ou non se souvenir. Ainsi son père, qui était rentré à Paris où il avait une famille, aurait fait rechercher la petite fille qu’il avait eue avec la jeune bonne vietnamienne, aurait confié la mission à sa fille aînée légitime. Mais ensuite ?

L'ancienne école française de Hué, aujourd'hui institut universitaire d'enseignement du français :

Ci-dessus : mur de clôture le long de l'avenue Le Loi.

Ci-dessous : le pavillon qu'habitait la directrice.